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Stockage des pommes de terre : les 30 premiers jours cruciaux

DOSSIER SPÉCIAL

Stockage des pommes de terre : les 30 premiers jours cruciaux

La conservation se joue dès les premiers instants : propreté du bâtiment, tri sanitaire rigoureux, cicatrisation et séchage menés avec méthode. Ces étapes conditionnent la stabilité du lot et la qualité marchande sur toute la durée du stockage. Comment bien procéder ?

Un stockage réussi de pommes de terre ne repose pas sur des automatismes mais sur une succession d’étapes rigoureuses où chaque détail compte. Les 30 premiers jours constituent une période décisive, c’est là que se jouent la maîtrise sanitaire, la qualité commerciale et la limitation des pertes. Les données compilées par Arvalis et les organisations de producteurs le rappellent : un lot bien conduit peut limiter la freinte entre 5 à 7 %, tandis qu’un stockage mal maîtrisé entraîne des pertes qui dépassent facilement 12 à 15 %.

L’hygiène : la condition préalable

Un bâtiment de stockage mal nettoyé est un foyer de contamination en puissance. Terre, poussières, débris végétaux : autant de niches où bactéries et champignons se maintiennent d’une campagne à l’autre. Le nettoyage du bâtiment doit être mécanique et complet : balayage, aspiration, lavage haute pression si nécessaire. Il doit être complété par une désinfection des surfaces, des ventilateurs, des trémies et des palox. Cette opération préalable réduit fortement la pression infectieuse de départ.

« Chaque résidu contaminé oublié est un risque reporté dans le temps. »

— Pierre Deroo, Ingénieur Arvalis spécialiste des maladies de la pomme de terre

En nettoyant et en désinfectant les locaux, on limite considérablement la survie d’agents pathogènes ou de parasites. Ces actions préventives sont d’autant plus cruciales lorsque des problèmes sanitaires ont été observés la campagne précédente. Le principe vaut aussi pour tout matériel réutilisé et destiné à entrer en contact avec les tubercules. Pour garantir à la fois la sécurité des opérateurs et la salubrité des pommes de terre, seuls des produits homologués et adaptés au contact avec les denrées alimentaires doivent être utilisés. Leur emploi doit respecter scrupuleusement la réglementation et les préconisations du fabricant.

Tri sanitaire : écarter les foyers avant qu’ils ne s’installent

Des précautions sont déjà à prendre dès la récolte pour préserver la qualité des pommes de terre. Une récolte à des températures fraîches, idéalement entre 12 et 18 °C, permet de limiter les pertes de poids et les phénomènes de condensation… donc de maladies. Le tri est la première barrière active. Il peut se faire directement à la récolte, au champ ou à l’entrée en bâtiment. Son but est simple : exclure les tubercules malades avant qu’ils ne deviennent des points chauds de contamination.

Tubercule tronqué, pourriture sèche en périphérie et pourriture molle (bactériose) à l’intérieur. Crédit photo : Arvalis
Fusariose : tissus déprimés à l’endroit des chocs. Crédit photo : Arvalis
Mildiou: plages violacées. Crédit photo : Arvalis

Les symptômes sont visibles à condition d’un œil attentif : mildiou avec ses taches violacées et sa chair rouillée ; fusariose et gangrène qui provoquent affaissements et cavités sèches ; bactéries (Pectobacterium, Dickeya) donnant des tubercules mous, liquéfiés, à odeur nauséabonde ; pythium (pourriture aqueuse) avec tissus déliquescents et odeur de hareng ; maladies de présentation comme la gale argentée, la dartrose ou le rhizoctone brun.

Une étude (2020) a montré qu’un tri mal conduit augmente de 30 % le risque d’apparition de foyers bactériens en stockage. À l’inverse, un tri rigoureux permet de réduire jusqu’à 60 % la probabilité de propagation de fusariose à l’échelle d’une cellule.

« Un tubercule malade épargné au tri devient très vite un foyer capable de contaminer plusieurs dizaines de voisins. »

— Pierre Deroo, Ingénieur Arvalis

Le chargement : limiter les chocs invisibles

Un choc de seulement 25 à 30 cm de hauteur suffit, surtout sur tubercules froids ou à chair ferme, à provoquer une meurtrissure interne invisible à l’œil nu qui deviendra un foyer de pourriture après quelques semaines. Les réglages des déterreurs et des tapis doivent être adaptés pour réduire ces chutes. Le travail doit être progressif : éviter les cadences trop rapides, répartir les flux, ne pas surcharger les trémies. Les tubercules doivent « glisser » et non tomber. Le soin apporté à ce moment conditionne directement la charge de blessures que devra gérer la phase de cicatrisation.

Premières étapes de la conservation : le séchage et la cicatrisation

Dès la mise en bâtiment, la ventilation doit être enclenchée. Les premières 48 heures sont critiques. L’humidité de surface doit être éliminée pour éviter l’installation de pathogènes : c’est la fonction du séchage. Pour être certain de sécher son tas, on ventile avec de l’air plus froid que la température du tas (l’air froid contient moins d’eau, même à 100 % d’HR). Une ventilation ajustée aux conditions climatiques peut être plus efficace qu’une ventilation continue 24 h/24 qui, par moments, réhumidifierait le tas. En cas d’indisponibilité d’air extérieur froid, un réchauffement intermittent du tas est possible (générateur d’air chaud), puis reprise de la ventilation avec air extérieur froid et donc plus sec.

Disposer de sondes de température fiables et bien positionnées est primordial. Recommandation : 1 sonde pour 200 tonnes de pommes de terre, placée à 50–60 cm dans le tas. En vrac, une sonde à la base permet de connaître l’amplitude thermique. En palox, répartir les sondes à différentes hauteurs pour couvrir l’hétérogénéité des températures. Ne placer des sondes qu’en haut du tas crée un biais (tubercules les plus froids).

  • Contrôle rapide entre campagnes : sondes dans un seau d’eau entre 5 et 10 °C.
  • Étalonnage précis tous les 2–3 ans par comparaison avec une sonde de référence.

Pour un séchage efficace, viser une capacité de ventilation élevée : 100 m³/h par m³ de tubercules en vrac, 60 m³/h en palox, 40 m³/h en frigo. Tas plat et palox bien disposés pour un brassage homogène. Attention au surplus qui surcharge une cellule : ventilation inefficace et risques accrus (pourritures, germination incontrôlée, faces planes sous pression du vrac).

Après le séchage, la ventilation reste nécessaire, mais l’objectif change : on entre en cicatrisation. Le tubercule ref erme ses blessures par subérisation (10 à 14 jours). Température abaissée progressivement à 12–15 °C et maintenue ~15 jours pour cicatriser peau et blessures, limiter pertes de poids et développement de maladies. Un automate de régulation facilite la conduite. À l’inverse, une cicatrisation bâclée ou interrompue laisse des « portes ouvertes » à l’infection.

Stabilisation thermique : la descente progressive

Une fois les tubercules cicatrisés, descendre progressivement vers la consigne de conservation. Rythme selon débouché : 4–6 °C pour le frais (0,5 à 1 °C/j), 7–9 °C pour l’industrie (0,3 à 0,5 °C/j), afin de limiter le noircissement à la friture.

« La clé, c’est d’accompagner la stabilisation des tubercules, pas de les brusquer. »

— Morgane Flesch, Ingénieure stockage Arvalis

La stabilité comme clé de réussite

Règle d’or : hygiène, tri, chargement prudent, séchage immédiat, cicatrisation complète, descente progressive en température, suivi rigoureux. Chaque étape prépare la suivante.

FOCUS SUR — Palox ou vrac, un choix dicté par la qualité ?

En vrac, la ventilation est assurée par un réseau de gaines ou de caillebotis alimentés depuis un couloir technique. Ces stockages peuvent entraîner des problèmes de faces planes, surtout au‑delà de 4 m de hauteur (pression du tas et effet ventilation).

En palox, la ventilation de type brassage d’espace (hors ventilation forcée) est plus difficile à homogénéiser (passages d’air préférentiels, cœur des caisses moins atteint). En revanche, le palox limite fortement les faces planes (faible hauteur d’empilement par caisse), sépare les variétés et offre une grande flexibilité de déplacement/commercialisation. Les caisses peuvent être empilées jusqu’à 7 m, augmentant la capacité au m² au sol.

Côté coûts : un bâtiment vrac avec murs de soutènement porteurs coûte plus cher qu’un entrepôt en caisses, mais si l’on ajoute l’investissement palox, le stockage en caisses devient globalement plus coûteux (d’autant qu’il s’accompagne souvent d’un groupe froid pour le frais). Pour une bonne unité de conservation, éviter les très grandes dimensions : préférer plusieurs cellules indépendantes pour maîtriser remplissage/déstockage, stabiliser la consigne et gérer au mieux les antigerminatifs.

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